20 août 2014

Habiter à Singapour, ça se mérite

Aujourd'hui j'ai enfin reçu le GRAAL : le Student Pass ou visa étudiant qui m'autorise à rester ici jusqu'à obtenir mon diplôme et à doubler tout le monde à l'immigration lors de mes futurs (nombreux) voyages :)




La quête fut longue et semée d'embuches mais j'ai vaincu.

Tout jeune Padawan souhaitant prendre racine sur les bancs de la meilleure université d'Asie (allez, on se la pète à NUS) se doit tout d'abord d'y postuler. Malgré l'accord entre l'X et NUS, la sagesse populaire laissant penser que des notes pas trop mauvaises et l'accord de nos grands gourous suffisent s'est trouvée contredite. Certains de mes camarades ont dû se battre pour avoir leur place ici, pour une histoire de lettres de recommandation voire pour des raisons gardées secrètes. J'ai échappé à cette étape et croyait avoir déjà gagné la bataille. Mais le parcours initiatique ne faisait que commencer.

Une fois acceptée à NUS, j'ai donc du remplir quelques paperasse et formulaires en ligne. La fac a fait pour moi une demande de student pass sur le site internet le plus mal fichu de toutes les administrations, j'ai nommé SOLAR (Student's Pass Online Application & Registration), qui n'a de brillant que le nom... Non seulement cliquer sur précédent est formellement interdit sous peine de tout faire foirer, mais aussi et surtout, tout le monde passe environ 2 heures à recadrer sa photo pour qu'elle fasse le bon nombre de pixels sans que le visage ne soit trop petit ou trop grand (comme si un logiciel ne pouvait pas le faire à notre place)... Bref. A cette étape il est bien précisé d'indiquer son "full name, as in passport". Toute naïve que je suis j'ai vérifié l'orthographe de mon nom et de MON prénom. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes à ce stade. Je vous passe mes mésaventures à propos du timing pourri de la pré-pré-pré-rentrée à NUS le 23 juillet au matin avec un test d'anglais hyper-obligatoire, annoncé 1 mois avant, c'est à dire quand j'avais déjà acheté mon billet d'avion non échangeable non remboursable. Je serais quand même là à temps pour donner tous mes papiers à ICA (service de l'immigration ici) lors de leur venue à NUS, et récupérer mon student pass deux semaines plus tard sans avoir à quitter mon campus.



Il faut que je précise quelles sont les informations requises pour entrer dans cette belle cité-Etat toute propre. Une case "race" attend votre réponse dans le "e-form 16" à remplir en ligne. Je me suis trouvée bien embêtée de devoir choisir dans une liste. J'ai fini par cocher "Autre" pour taper "Mixed Caucasian/African". Pour un pays d'immigrés apparemment fiers de l'être (cf le Asian Civilisation Museum et le Peranakan Museum...), il m'a semblé "un peu" contradictoire de poser une telle question, qui n'a, à mon avis, aucun sens. Ensuite vient la question de la religion, où j'ai choisi "free thinker" pour qu'on me laisse tranquille. Jusqu'ici rien n'indique qu'une mauvaise réponse existe... C'est à la limite du politiquement correct, mais je ne grogne pas. Là où ça devient plus douteux, c'est qu'il faut fournir un certificat médical, examens à l'appui, qui prouvent que vous n'avez ni le sida, ni la tuberculose. Les malades sont bien sûr reconduits gentiment à la frontière. Cette partie semble facile mais détrompez-vous. Pas que je sois à l'article de la mort, rassurez-vous. Mais comme je voulais tout bien faire et m'y prendre à l'avance, j'ai fait tout ça en France. Un gentil médecin toulousain a accepté de remplir le medical report en anglais et me prescrire les examens pour que la sécu me les offre (non, je n'ai pas honte...). Sauf que le laboratoire n'a jamais accepté de me fournir les résultats de la prise de sang en anglais, idem pour la radio du thorax. C'est vrai que traduire : "VIH négatif" en "HIV negative" est hors de portée... Bref je ne vais pas encore m'énerver sur le problème qu'ont de nombreux français avec la langue de Shakespeare. Toujours est-il que j'ai songé à faire traduire ces résultats d'analyse, et qu'on m'en demandait 50€ la page.... Soit un billet d'avion pour Bangkok. Niet. Alors arrivée à NUS j'ai montré mes résultats d'analyse au centre médical de l'université pour avoir leur avis. Ayant pu comprendre sans être francophone que "normal" signifiait "normal" et que mes défenses immunitaires n'étaient pas menacées par le méchant rétrovirus, ils m'ont dit que ça devrait être OK.


Que nenni. Le 30 juillet dernier, lorsque j'ai donc été soumettre mon dossier à la femme sèche et désagréable de ICA ayant gracieusement accepté de ramener son gros popotin à NUS pour les milliers d'étudiants ayant traversé le monde pour étudier dans la meilleure fac d'Asie (au cas où vous auriez oublié, hein, parce qu'ici ils nous le rabachent 40 fois par jour) ; donc ce jour-là on m'a méchamment envoyée paître. Non seulement mes analyses de labo ne leur convenaient pas (alors que le medical report rempli en anglais par le médecin reprenait les résultats...), mais surtout il manquait mes 2 autres prénoms sur l'application, donc je n'avais plus qu'à tout recommencer. Ah oui et mes 12 photos d'idendité format passeport prises chez le photographe brillaient, alors j'ai payé 7$ pour les refaire avec une finition mate. Evidemment, ce critère n'était marqué absolument nulle part. J'ai réussi à ne pas me mettre à pleurer mais pas à me retenir de shooter dans la première chose que j'ai trouvé -en l'occurence, une chaise trop lourde qui m'a fait mal.


J'ai donc eu le droit à une prise de sang en plein milieu de la main droite, qui m'a laissé un joli bleu (mes veines sont très fines et invisibles donc chaque prise de sang est une épreuve pour l'infirmière qui s'y colle... et qui finit en général par planter son aiguille à un endroit aléatoire...). Egalement à un nouveau bombardement aux rayons X. Le tout bien sûr pour 50$. Puis à un accueil très dédaigneux par la secrétaire du département de chimie qui n'a pas apprécié de devoir refaire ma demande de SP et qui m'a rappelé à force de grimaces que j'étais vraiment trop débile de ne pas avoir pensé à mettre tous mes prénoms inutiles sur son papier. J'avais trop mal au pied et à la main pour la rouer de coups mais y songer très fort m'a aidée à surmonter cette épreuve. J'imagine que l'idée des châtiments corporels infligés aux baguarreurs dans ce pays a aussi joué en faveur du statut quo...


Tout ça m'a donc menée au grand frigidaire qu'on appelle ici le "ICA building" ce matin à 11h30, en ayant préalablement pris un "e-appointment" via un autre site internet moisi. Une grosse machine m'a craché un petit papier sur lequel on pouvait lire "VS036" et m'a conseillé d'aller m'asseoir. Et là, c'était le dernier niveau du jeu vidéo pour passer dans le monde suivant : le niveau vraiment extra dur où tu dois affronter un big boss et où tu perds toutes tes vies parce que le big boss a plus d'un tour dans son sac. J'ai donc subi tout d'abord un magnifique faux espoir, car le numéro appelé à mon arrivée était le VS032 et que j'ai naïvement cru que seules 5 personnes passeraient avant moi à l'un des guichets. Il y avait aussi plein d'autres numéros qui commençaient par VL, WL, WS, Y, et je ne sais plus quoi, et je ne savais pas dans quelle ordre les lettres étaient tirées mais il me semblait bien que dans ma caste des VS, j'étais 5e sur liste d'attente. C'est là que j'ai vu le VS018 apparaître à l'écran. Puis le VS022, VS033, VS016, VS025, VS004... Pas possible de déterminer le terme général de la suite. Aucune estimation de mon temps maximal de poireautage plus précise que le comptage de numéros entre 0 et 36 déjà appelés ne semblait possible. Premier coup dur. Après une heure d'attente, j'ai commencé à avoir très faim. Evidemment la grosse maligne que je suis n'avait pas pris de petit dej. Puis est venu le moment où la petite sonnette qui retentissait dès qu'un numéro était appelé m'a vraiment tapé sur le système. Après 2h de Candy Crush j'ai commencé à m'inquiéter pour la batterie de mon téléphone. Au bout de 2h45, le VS036 s'est enfin affiché. Toute contente, j'ai foncé sur le guichet, où on a juste agraphé mes papiers et posé ceux ci sur une pile. On m'a dit d'attendre en face de la pile. Quoi ? Il faut attendre encore ? Je ne sais pas qui de mon estomac ou de mon cerveau était au plus mal mais à ce moment là mon iPod est tombé en rade et j'ai commencé à avoir des hallucinations. J'avais l'impression que ça sentait la bouffe, qu'il y avait un hamburger sur le bureau, et que le gamin qui gueulait à côté de moi était un bon gros rôti de porc. J'avoue qu'au bout de 3h20 quand j'ai vu que la dame n'arrêtait pas de mélanger la pile où il y avait mes papiers et que mes espoirs de quitter ce bâtiment de l'enfer pour enfin acheter à manger se réduisaient au quasi-néant, j'ai eu très très envie de pleurer. Je pense que ma voisine l'a senti parce qu'elle m'a sauvé juste à temps en me demandant mon prénom. Il se trouve qu'elle était réunionnaise et qu'on a pu insulter tout le bâtiment à loisir dans la langue de Molière. Je me sentais mieux. On a commencé à mettre la pression à la dame pour qu'elle nous dise au moins si on pouvait partir manger ou si c'était bientôt notre tour, et là miracle, plus que 3 personnes devant moi. 30 min plus tard, deux mecs sont passés, et la dame s'en va... Je m'approche de sa voisine : qu'est ce qui se passe ?? Oh, elle prend sa pause déjeuner, elle revient dans 30 min. Quoiiii ? S'il vous plait aidez-moi, je suis là depuis 11h30, j'ai rien mangé aujourd'hui... Ma nouvelle copine, Anna, est carrément arrivée à 10h. Elle compare les heures de rdv des différents papiers de la pile et nous promet qu'on passera l'une après l'autre dès qu'elle aura fait passer la vieille dame en fauteuil roulant, qui me semble bien âgée pour une étudiante... Bref. On attend 10 min, Anna donne ses  papiers, je sens la délivrance toute proche, et là, coup de théâtre. Une autre femme se ramène, son bébé dans les bras, et demande si elle peut passer parce que, bah, elle a un bébé quoi. Elle était arrivée à 12h30. Elle m'est quand même passé devant. Quelle idée de se ramener ici avec un bébé, elle l'a fait exprès pour doubler tout le monde, je rumine. Quand finalement mon tour vient, il semble qu'un farceur ait rajouté un "n" à la fin de mon prénom lors de mon enregistrement en ligne. Bien sur la dame s'en rend compte après avoir pris mes empreintes, scanné ma photo etc, mais heureusement avant de valider. Rebelotte. Le I de mon numéro de passeport s'était aussi transformé en 1 sur mon medical report, mais a été corrigé. T'as la poisse, non ? demande Anna qui m'attend. A 16h40 j'ai enfin le droit d'aller manger. On fonce au Wendy's s'enfiler un hamburger frites. On nous annonce une heure d'attente pour récupérer la précieuse carte. Je m'attends à dormir là. Mais une heure plus tard on se pointe à un guichet sans attendre qu'ils nous appellent (on a compris qu'il valait mieux pousser un peu...), Anna récupère son student pass et... le mien n'est pas prêt. Je ne m'offusque même pas. Je suis lessivée. Finalement je n'ai attendu que 10 min et j'ai enfin eu cette satanée carte.


La morale de cette histoire ? Ben y'en a pas. Les Singapouriens ne sont pas aussi efficaces qu'on pourrait bien le croire dans certains domaines. Ou ils trouvent ça normal qu'on en ch** un max avant d'avoir le droit d'habiter leur merveilleuse contrée. Je ne donnerai qu'un prénom à mes enfants et ils n'auront pas toutes ces emmerdes. Mais je vois vraiment pas pourquoi ça leur importe de pouvoir noter tous mes prénoms sur leur petite carte. J'ai bien été au Canada avec le passeport d'un Aude N. de sexe masculin il y a 8 ans...





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